A l'occasion du 50 ème anniversaire de notre départ d'Algérie, le journal local de Villefranche de Rouergue (Aveyron) a donné la parole à des pieds-noirs de la région ayant vécu ces évènements. Notre Amie Edith DUBOSQ - ANDRA a été sélectionnée pour que son article soit publié.
SOUVENIRS DE LA BAS.
C’est à seize ans que j’ai quitté mon pays natal. Je suis ce qu’on appelle une « pieds noirs » sans savoir exactement la signification de ces mots. Mes arrières grands parents paternels venus de Vendée sont arrivés en 1860. Mes grands parents maternels, immigrés espagnols, en 1928. Chacun suivant sa route afin de se fonder un avenir dans un pays où tout était à faire.
C’était des personnes de condition modeste, ma grand-mère maternelle était brodeuse, mon grand père ouvrier maçon. Mes grands parents paternels se sont unis dans un petit village appelé Oued El Alleug au beau milieu de la plaine de la Mitidja. Elle travaillait dans les fermes et chez les notables où elle faisait le ménage et lui était au service de la Mairie. Il contribuait à l’assainissement des marécages qui constituaient la Mitidja.
Mes parents se sont rencontrés à Hussein Dey et se sont mariés en Avril 1945.
Je suis née en 1946 et mon frère en 1948, nous habitions 10, rue Parnet à Hussein Dey.
Les parents d'Edith en tandem.
Mon père était ouvrier métallier aux Ets Blachère et ma mère vendeuse dans une grande mercerie : Chez Mercadal. Au fil des années, mon père progressa dans le métier et passa successivement au poste de bureau d’études et à celui de responsable d’atelier, il avait beaucoup d’ambition et décida d’entrer dans une autre entreprise la DAMIA qui fabriquait des bennes sur les camions, il a beaucoup apprit et se passionna pour ce nouveau travail.
Je passais le plus clair de mon temps entre mes grands parents, mes tantes et mes oncles, puisque nous habitions tous Hussein Dey. Tous ces bons moments restent gravés au fond de mon cœur.
Mes parents avaient décidé que j’apprendrais la musique, il faut dire que mon père avait un petit orchestre et le samedi soir il animait les mariages et les bals, il jouait du saxo et ma mère chantait.
Ils me faisaient donner des cours de piano. A l’âge de six ans je commençais chez un professeur particulier et c’est quatre ans plus tard qu’ils m’inscrivaient aux Beau Arts à Alger. Cela devenait plus sérieux et plus difficile, en fin d’année il y avait un examen qui permettait de passer dans la classe suivante.
Je n’avais pas trop de temps pour trainer dehors d’ailleurs à l’époque mes parents ne me permettaient pas de sortir seule, c’était comme ça là bas.
Le dimanche nous allions à la mer à Fort de l’eau, ou à Sidi Ferruch. Sur ces belles plages de sable fin, le soleil était brulant mais il y avait toujours ce petit air marin qui permettait de supporter la chaleur .La mer était limpide et le ciel d’un bleu éclatant. Le soir, nous allions dans un petit café boire un apéritif accompagné de « Kémia » (olives, cacahuètes, tramousses) et nous mangions des brochettes à la viande et des merguez cuites au feu de bois.
Pour Pâques, il était une tradition qui venait certainement d’Espagne, nous préparions un pique nique et nous partions à la plage où dans la forêt d’Eucalyptus, pour « casser la mouna » comme on disait la bas, de belles mounas (grosse brioche) que faisait ma mère et mes tantes. Toute la famille se retrouvait et fêtait l’évènement partageant toutes les bonnes choses que chacun amenait. Le repas se terminait souvent en chansons et en éclats de rire lorsque mes oncles racontaient quelques petites histoires marrantes.
Puis c’était le moment de rentrer car le lendemain tous devaient reprendre le travail.
Que de bons souvenirs !
Les grands mères, la mère, le frère la petite soeur qui vient de naître, avec Edith devant l'appartement de la rue Parnet à Hussein-dey.
En 1956 mon père ayant acquit un certain savoir décida de s’installer à son compte et de créer sa petite entreprise de construction de bennes sur camions. Il loua un petit atelier dans le quartier de Leveilley à Hussein Dey. Les conditions de travail étaient très précaires mais il arriva à faire sa place.
C’est alors qu’il eu l’opportunité de pouvoir acheter un petit terrain dans une nouvelle zone industrielle qui venait d’être créer à Oued-Smar près de Maison Carrée. Il s’endetta pour bâtir son atelier.
Nous avions déjà une petite maison dans le lotissement de Beaulieu, qui n’était pas complètement achevée. Le gros œuvre avait été fait par une entreprise de maçonnerie et mes parents aidés par mon grand père y travaillaient tous les weekends end et les jours de repos.
Je revois encore ma mère faire le béton et peindre les différentes pièces de la maison. Elle était très vaillante et courageuse, elle épaulait mon père dans tout ce qu’il entreprenait. Elle a 88 ans aujourd’hui. Hélas mon père est décédé en 2003.
Je n’oublierai jamais les parfums qui envahissaient notre petit jardin, le jasmin, le bougainvillier et le petit citronnier qui donnait de beaux citrons, enfin un ou deux juste pour le plaisir de les cueillir.
En 1958 à la naissance de ma sœur, nous quittions Hussein Dey pour aller habiter dans notre nouvelle maison.
Les « évènements » tragiques que nous connaissions font perdre confiance à mon père, il n’a plus ce bel espoir en l’avenir et en même temps il ne voudrait pas quitter l’Algérie. Nous sommes tous y nés.
Cependant, nous vivions dans la terreur, chaque nuit nous étions réveillés par des explosions et quand nous regardions par la fenêtre, nous apercevions les flammes d’une maison qui brûlait.
A n’importe quel moment dans la journée, nous entendions des rafales de mitraillettes qui résonnaient dans les rues et nous avions de plus en plus peur.
Aux informations chaque jour, c’était l’horreur que ce soit le FLN ou l’OAS, c’était dramatique. C’était l’année 1960.
La tristesse s’installait dans nos cœurs, nous sentions bien que nous n’aurions pas d’autre choix que de partir.
En mars 1962 nous rentrions en France, mon oncle qui vivait déjà depuis quelques années à Vias petit village de l’Hérault, nous accueillait et nous trouvait un appartement à louer.
Il n’y avait pas de toilettes et l’eau était au rez- de -chaussé, il fallait la monter au premier étage. Nous étions revenu au moyen âge d’ailleurs le nom de cette vieille maison était « le vieux logis » malgré tout quand même heureux d’être là, en vie.
Nous avions tout perdu, nos meubles pour la plus part étaient restés là bas faute d’avoir pu les mettre dans un container, comme en disposait certains fonctionnaires.
Mon piano, qu’un instituteur avait promis de me ramener a du resté sur le quai.
Le plus difficile à affronter c’était l’accueil des villageois. Ils n’avaient pas une belle image de nous, pour eux nous étions des « colons », ils étaient convaincus que nous avions exploité le peuple algérien et que nous étions rentrés les poches pleines.
J’avoue aujourd’hui que je n’ai entendu ce mot « colon » qu’à ce moment là.
C’est dans ce petit village que je rencontrai mon futur mari. Nous nous sommes mariés en 1966 .Mon père ayant toujours le désir de réussir recommença à travailler dans le même métier, son frère lui avança l’argent pour se réinstaller et c’est après beaucoup de travail et d’acharnement qu’il arriva à faire tourner son affaire.
En 1968, encouragé par Mr CAYLA Armand, concessionnaire UNIC (IVECO) il venait installer un atelier à Villefranche de Rouergue, c’est mon mari et moi-même qui sommes venus pour développer cette unité la faire prospérer.
Nous avons été bien acceptés par la population. Poursuivant notre petit bonhomme de chemin Nous avons eu trois enfants qui ont tous travaillé avec nous, ce sont des aveyronnais de naissance et de cœur. Egalement huit petits enfants et sommes heureux parmi eux.
Pour ce qui me concerne, j’ai bientôt 66 ans, la nostalgie de mon pays est toujours présente et je crois que ce qui est le plus difficile à supporter c’est de penser que je n’y retournerais jamais.
Edith DUBOSC - ANDRA