Notre Ami, Serge MOLINES, garde toujours en lui une profonde nostalgie de l'Algérie, attisée par le fait que son frère compte parmi les personnes enlevées et disparues. Il livre, à la réflexion de chacun d'entre nous, ce très beau texte.
LAISSEZ MOI REGARDER L’ALGERIE,
Que d’années à attendre, que d’années à espérer, à me demander quand viendrait le temps de te revoir et de t’aimer. J’attends ce renouveau qui viendra inonder mon cœur de joie, qui me rendra cette espérance engloutie dans les brumes de ma mémoire, là où les souvenirs s’estompent pour laisser place à l’amertume. La tristesse m’envahit, m’oppresse et me désole car je t’ai perdu. Une perte cruelle, inimaginable et tenace, qui s’éternise sans que je puisse faire le moindre geste pour l’atténuer.
Je me sens totalement dévoré par tout ce temps passé à essayer de faire le deuil de ce pays magnifique sans jamais y parvenir. Les rues de mon enfance sont inondées de soleil, les murs des maisons d’un blanc immaculé m’obligent à plisser les yeux et j’aperçois sur les balcons et terrasses, modestement fleuris, du linge qui sèche dans le vent, qui vient de la mer, avec un peu de fraîcheur, ou de l’arrière pays avec cette chaleur pesante des jours d’été.
Agités par le vent, les grands arbres, qui bordent la place, se balancent et leurs ombres solitaires et inquiétantes se projettent sur la route. Je passe devant ma maison et j’aperçois le balcon et les volets bleus qui apparaissent derrières les branches entrelacées de l’oranger, du jasmin et des bougainvilliers.
Je suis né ici. Je m’arrête un instant. Une angoisse m’envahit, vite dissipée par le flot de souvenirs merveilleux vécus ici. Les volets sont clos et semblent attendre que je revienne les ouvrir et que la vie, que j’ai autrefois quittée, recommence comme par magie. Il me vient à l’esprit cette nécessité de clore les fenêtres en été pour empêcher la chaleur de pénétrer dans les maisons.
Où sont les bouteilles posées sur le bord de la fenêtre et soigneusement enveloppées de chiffons copieusement mouillés qui allaient nous permettre de boire frais ? Je croule sous le bonheur, celui d’avoir retrouvé mes racines, celles qui me lient à l’Algérie, depuis 4 générations, et qui avaient disparues « comme ça » par un bel été, voilà 48 ans.
Je me souviens des dimanches où nous allions à la ferme de Louis et Camille au FIGUIER. Dans l’après midi, nous partions tous à la plage nous baigner et, pour y accéder, nous empruntions un large et long sentier bordé de roseaux d’une hauteur extraordinaire. Au bout, une grande plage de sable gris et une mer tiède, sous un soleil éblouissant, nous attendaient.
Tante Camille avait un grand chapeau en paille, maman, une superbe robe de couleur verte qui faisait ressortir la blondeur de ses cheveux et le bleu de ses yeux. Assises sur le sable, elles parlaient et leur conversation était ponctuée de larges éclats de rire. Algérie notre terre, celle du bonheur et de la joie de vivre ! Pour atténuer la souffrance, qui me taraude continuellement, je pense à tous les moments délicieux que j’ai vécus, sur cette belle terre d’Algérie.
Aussitôt, baigné dans cette atmosphère des jours heureux, je me sens bien apaisé, l’esprit serein, le cœur léger, dans ce bond en arrière salutaire. Comme il est difficile de vivre loin de son pays. Laissez moi regarder ce soleil radieux, réconfortant et admirer cette mer si bleue, y tremper ma main, et porter à mes lèvres ce breuvage aux effets magiques et instantanés qui mettront fin à mes interrogations.
Laissez moi enfin caresser cette terre merveilleuse, y poser ma joue et échanger, dans la complicité la plus totale, un long baiser passionné, sous les chauds rayons de soleil ou sous un ciel constellé d’étoiles, toutes à portée de main. Regarde moi ma terre, parle moi. A tous les instants de ma vie, et en toutes circonstances, je t’ai cherchée, pour me réfugier près de toi, et trouver le réconfort et le courage de poursuivre cette vie monotone, qui m’a progressivement enveloppé de ses tentacules étouffants et obsédants qui m’ont retenu loin de toi.
Oh ! merveilleuse Algérie, tu as su nous faire tomber sous ton charme, et déposer, dans le cœur de chacun d’entre nous, des milliers de souvenirs indéfectibles, précieusement dissimulés dans nos bagages, au moment du départ, que je croyais provisoire mais qui est vite devenu définitif. Ils allaient, durant des années, nous permettre de renaître et tenter de sourire.
Moment tragique et douloureux de notre existence, les longues files d’attente, sur le port, dans l’espoir d’obtenir d’hypothétiques billets de transport et les embarquements au milieu des cris et des pleurs. Sur nos visages, ravagés par les larmes, pouvaient se lire le désespoir et l’incertitude du lendemain. La mode, à l’époque, n’était pas à l’intervention de psychologues, ou autres, et dieu sait combien nous en avions besoin, mais à celle des panneaux insultants, dégradants et hostiles à notre arrivée.
Toi, le pied noir, part avec ta famille, ton baluchon et tes maigres économies. Quitte tes racines, franchit la mer et parcours les routes, les villes et les villages, à la recherche d’un coin pour poursuivre ta vie et y finir tes jours. Au plus fort de ta douleur, quand les difficultés de la vie se feront cruelles et exigeantes, sans aucune honte, laisse couler tes larmes. Tu vas souffrir, mais au bout du compte tu auras peut-être la chance de trouver le bonheur et la sérénité, que tu recherchais, pour partir vers l’avenir et tes souvenirs d’Algérie quand tu auras besoin de retrouver le passé.
Il faut oublier dit-on, il faut regarder vers l’avenir mais peut-il y avoir un avenir sans qu’il y ait un passé ?......Algérie ma belle, Algérie éternelle, Algérie que j’aime, je te l’ai dit et te le dis encore, ne me quitte pas.
Serge MOLINES Septembre 2010